« Lorsque j'ai commencé à me concentrer sur la photographie de paysage, mon idée était de réaliser des images qui se rapprochaient d’une expérience existentielle. Je voulais me concentrer sur ma relation au paysage et sur la sensation d’intimité que j’éprouvais lorsque je marchais et passais de longs moments dans la nature. Le cadre que je me suis fixé était de produire des images qui constituaient un point d'entrée différent de ce qui caractérise le genre classique de la photographie de paysage. J'ai abandonné l'appareil photo et commencé à expérimenter le photogramme. Et lors d'une visite à l'Institut islandais d'histoire naturelle, j'ai découvert l’existence de fines coupes de roches. Il s'agit d'un procédé habituellement utilisé à des fins géologiques pour étudier au microscope la composition chimique et la structure interne des roches volcaniques ; une fine tranche de roche collée avec de l'époxy sur un morceau de verre et poncée jusqu'à ce qu'elle soit transparente.
Je me suis immédiatement transportée dans la chambre noire et j’ai commencé à faire des expériences. Le mélange entre un outil concret destiné à la recherche et un matériau permettant de développer un langage artistique m’excitait beaucoup. Pour ce qui concerne l'agrandissement proprement dit, j'ai utilisé la technique d'impression classique dans la chambre noire, mais avec beaucoup de tâtonnements ! Et je suppose que ce n'est qu'après avoir décidé de passer à la vitesse supérieure que j'ai trouvé une forme d’expression qui ressemblait un peu à cette intimité et cet état sauvage que j’ai ressentis dans les paysages d'Islande. Mes méthodes sont très intuitives mais aussi très rationnelles et basées sur des faits.
Quant au travail dans la chambre noire, il se déroule dans l'obscurité totale, car la lumière rouge peut engendrer une pollution lumineuse pendant les longues expositions et l'agrandissement sur de larges feuilles de papier. Être dans le noir m’a permis de travailler beaucoup plus librement, sans chercher la perfection. J'ai par exemple coupé le papier très rapidement et de façon intuitive, puis l'ai fixé au mur, le tout sans voir clairement ce que mes mains faisaient ; si bien que rien n'est vraiment droit. Pour moi, ce processus est devenu très libérateur. J'ai choisi de conserver cette méthode de travail qui fait maintenant partie intégrante de l'image, parce que j'aime retrouver ce côté brut que j’ai éprouvé dans la nature.
Ces images ont été réalisées au cours d’une période où j'étais totalement immergée dans les paysages d'Islande. Et ce mode de création des œuvres a quelque chose pour moi d’une danse : j’ai dansé avec les images – avec le grand format du papier – et célébré ainsi la puissance et l'énergie que j’avais éprouvées dans le paysage. » V.G.
Conglomerate diptych, 2021
Type de roche : pierre de lave ignée.
A gauche : Mont Esja, Islande, 3,2 millions d’années.
A droite : Holuhran, Islande, 2 millions d’années
Coupes de roches conservées à l’Institut des sciences de la terre,Université d’Islande
Hraun, n°6285, 2016
Type de roche : xénolithes de gabbro provenant d'un tuffeau silicique, 10 millions d’années
Coupe pétrographique conservée à l’Institut d’Histoire Naturelle d’Islande
Hraun, n°8683, 2016
Type de roche : pierre de lave, entre 2.400 et 11.000 ans
Coupe pétrographique conservée à l’Institut d’Histoire Naturelle d’Islande
Courtesy Veronika Geiger, Aarhus, 2022
Veronika Geiger est une artiste danoise - suisse qui vit à Aarhus. Elle obtient une licence en photographie à l'école d'art de Glasgow puis un master à l'Académie des arts d'Islande en 2016. Depuis, elle a continué à développer son travail entre art et géologie. Son intérêt pour le paysage et la notion du temps l'a naturellement conduite vers la géologie et elle opère souvent désormais en suivant une démarche interdisciplinaire entre proposition artistique et recherche scientifique.
Dans le cadre de son étude sur les pierres de lave et les paysages volcaniques, elle a participé à des expéditions à Holuhraun, en Islande (2016 et 2017) et sur l'Etna, en Sicile (2018). Elle a exposé au Danemark ainsi que dans des pays comme la Suisse, l'Islande, le Royaume-Uni, les États-Unis,
le Mexique, la Lettonie, la Russie et la Chine. Parmi ses projets récents et à venir, il faut retenir « Imprint » au Velje Kunstmuseum et, en janvier 2022, une exposition personnelle à Galleri Image, à Aarhus.
Veronika Geiger
Née en 1987
Vit et travaille à Aarhus
© Barbara Katzin